Cette recherche visait un but, celui d’aborder le droit qui dominait la justice pénale des ecclésiastiques du XVIe au XVIIIe siècle, en partant d’un constat : le droit pénal de l'Eglise cesse de concerner les historiens du droit français dès que s’annonce le XVIe siècle. La bibliographie couvre superbement le Moyen Age (Paul Ourliac écrivait en 1977 qu’il était «bien ambitieux et bien périlleux d’y revenir). Les ouvrages de Fournier1, Lefebvre-Teillard2, Genestal3, Olivier-Martin4, et Royer5, sur les officialités comme sur la lutte de la Royauté contre la juridiction de l’Eglise, explorent l’histoire de la juridiction ecclésiastique jusqu’au XVIe siècle. Pour la même période, des études sur la juridiction ecclésiastique ont été menées par la Société d’Histoire du Droit des Pays Romands6. Mais, passée cette époque, sans doute considère-t-on, non sans raison, que le privilège du for était alors, comme l’affirmait Brissaud, «fort atteint», l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, en France, ayant réduit à « presque rien » la justice d’Eglise. Les manuels récents appuient cette approche. Celui d’Harouel confirme que le texte de 1539 «réduit à peu de chose la juridiction de l’Eglise », tendance renforcée par la doctrine gallicane et le refus de recevoir en France le Concile de Trente. Quant aux manuels de droit pénal, s’ils ne se contentent pas de décrire la procédure criminelle des Cours d’Eglise au Moyen Âge, ils renvoient prudemment, pour cette période à l’ouvrage de Jousse (daté de 1764), commentant l’édit de 16957. Enfin, les travaux sur le clergé délinquant du XIIIe au XVIIIe siècle8, conduits par l’équipe de recherche de Dijon, n’aborde pas la question sous l’angle du droit lui-même mais sous celui de la criminalité et de la déviance. Or, ce silence sur trois siècles rend mal compte des réalités, d’une part parce que les travaux abondants rédigés aux XVIIe et XVIIIe siècles attestent d’un intérêt fort pour des questions de droit âprement débattues par les contemporains. D’autre part, parce que si la justice ecclésiastique n’est plus une menace pour la justice royale, cela ne signifie pas que les problèmes juridiques posés aient été perçus comme secondaires. A l’occasion d’un procès pénal fait à un ecclésiastique, se révèle aussitôt la présence d’un droit pénal « plural » que ne sauraient résoudre les mécanismes habituellement présentés comme étant ceux « d’un » droit pénal d’Ancien Régime. Et les questions soulevées sont innombrables : le juge d’Eglise peut-il condamner à la torture ? Comment concilier l’obligation de « douceur » qui lui impose de ne pas faire couler le sang et l’idée que, peut-être, pourvu qu’il soit revêtu de l’habit clérical, il peut donner une « question » modérée, pour condamner ensuite à mie peine de prière et de jeûne, le préparatoire étant alors plus sévère que le définitif! Le juge d’Eglise peut-il en tous points, comme on lui en fait l’obligation, suivre les dispositions de l’ordonnance de 1670, alors que toutes sortes de prérogatives lui sont fermées, tant en ce qui concerne les décrets qu’en général tous les moyens de puissance publique ? Peut-il également exiger, en tous cas, qu’un clerc qui s’est rendu coupable d’un crime soit soumis à sa juridiction, alors même que de l’atrocité du crime ou de la tenue dans laquelle il a été commis, les juges laïques peuvent tirer argument de compétence ? Peut-on aisément accuser un prêtre ? Comment procéder à son égard, devant quel tribunal, selon quelles règles et pour quelles sanctions ? Etc... Autant de questions qui situent le clerc dans la société comme elles le situent dans le droit pénal, en même temps qu’elles éclairent et la société, et le droit pénal de cette époque. Le droit, par sa fonction instituante, permet de comprendre la place réservée au prêtre et à la justice ecclésiastique dans la société. Aussi les privilèges qu’on ne leur dispute pas, comme ceux qu’on leur conteste, sont-ils largement significatifs du regard des autres, beaucoup plus sans doute que les déviances que signale la criminalité des clercs. C’est moins le fait que l’on trouve des prêtres qui chassent en violation des ordonnances, ou des prêtres concubinaires, ou des prêtres assassins, ou peu respectueux des règlements de l’Eglise, qui intéresse l’historien du droit, que le fait que le droit réserve à ces actes telle procédure ou telle solution. Qu’elle soit apportée par l’Eglise elle-même ou par une justice laïque, que cette solution évolue au fil des années, la procédure suivie et le traitement infligé en disent long sur les mouvements de la société, la discipline qu’elle exige de ses prêtres, la liberté qu’elle leur consent, mais aussi sur les jeux de pouvoirs entre clercs et laïques ou, comme le démontre Véronique Demars-Sion, entre Parlements et Royauté9. Telle règle attestera du respect dû à l’Eglise et non au clerc, tel arrêt montrera la volonté d’en finir avec des privilèges immérités ou détournés, telle dispute illustrera les changements opérés dans les mentalités et telle décision royale prouvera le souci de maintenir un équilibre entre les corps, tandis que telle autre affaire tiendra compte d’un besoin urgent de réagir à une dérive et de l’impuissance à dominer les mécanismes d’un droit pénal qui, apte à assurer la domination d’un juge en face d’un accusé analphabète, se révèle impuissant face à un accusé cultivé et très au courant des règles de procédure10. Il n’est pas jusqu'à la manière dont les arrêts répondent à la question posée qui ne puisse nous renseigner sur la stratégie du pouvoir royal à l’égard des revendications de l’Eglise. On n’en finirait pas d’énumérer les règles juridiques qui « placent » le prêtre dans la société et le droit pénal de l’époque, comme celles qui déterminent la place de la religion dans la « police de l’Etat » : ainsi du souci de voir tel ou tel crime, apparemment spirituel, entrer dans la catégorie des crimes sanctionnés par l’Etat, du refus de voir les prêtres trop facilement accusés (puisque, à la prudence légitime du promoteur qui peut, comme tout procureur, examiner le bien fondé de la dénonciation, s’ajoute le souci de ne pas voir trop légèrement accusés « les ministres du Seigneur », ni voir le juge royal contredire la prudence du promoteur), des difficultés que l’on multiplie à leur arrestation par le jeu des compétences ou des décrets, du laxisme avec lesquels on les juge et du refus qu’y oppose la justice laïque, etc. Certes, pour appuyer l’image retenue pour cette époque, le déclin des tribunaux d’Eglise, en France, est remarquable. La théorie des cas privilégiés, la vérification du privilège de clergie, l’appel comme d’abus, sont des armes redoutables entre les mains des juges royaux, et elles consacrent et assurent le rôle secondaire que jouent désormais les justices d’Eglise. Mais il reste que l’unité du droit pénal est loin d’être réalisée : les officialités continuent à juger au pénal, les ecclésiastiques continuent à invoquer leur privilège, les ordonnances et déclarations royales cherchent à trouver un équilibre entre les prétentions du clergé et les intérêts de la justice royale en tentant de concilier le droit canon et les dispositions laïques. Les nombreux conflits de compétence plaident contre l’idée que ces questions ont cessé d’être un problème, comme elles attestent (Anne Lefebvre-Teillard l’affirmait en 1977)” des nuances à apporter à «des visions historiques anciennes, par trop catégoriques ». La doctrine, qui s’aventure sur ces terres, accuse les différences d’approche et, outre la lutte entre gallicans et ultramontains, atteste des divisions qui régnent sur la place laissée à la justice d’Eglise. Il n’est pas jusqu'à l’approche des appels comme d’abus qui ne soit contestée, certains auteurs soutenant que la philosophie même en a été pervertie et que, destinés à empêcher « l’abus des entreprises d’une juridiction sur l’autre », dans quelque sens que ce soit, ils sont devenus un moyen exclusif et à sens unique « de détruire la juridiction ecclésiastique ». Mais comment imaginer que le partage des compétences ou la détermination des procédures applicables ait pu se faire sans que quelque influence ne se manifeste dans un sens ou dans un autre ? Les règles pénales appliquées dans les tribunaux royaux comme dans les tribunaux d’Eglise sont parfois si «perméables» qu’il est difficile d’en négliger les éventuels apports réciproques ou les influences. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, la coexistence des juridictions, la puissance des deux autorités, royale et ecclésiastique, leur volonté conjointe de collaborer ou de ne rien céder, ont été source d’innombrables conflits et de solutions imposées ou négociées. Séparées, les juridictions des deux ordres sont parfois conduites à collaborer. Au demeurant, peut-on négliger ces approches juridiques qui mesurent les revendications de compétence, alors que les historiens de la vie religieuse soulignent combien le concile de Trente a eu pour conséquence d’exalter la mission du prêtre et son sacerdoce et donc les exigences d’un renouveau clérical auquel s’impose l’exemple de la sainteté*12 : «Aussi les clercs ... doivent tellement régler leur vie et toute leur conduite que, dans leurs habits, leur maintien extérieur, leurs démarches, leurs discours et dans tout le reste, ils ne laissent paraître rien que de sérieux, de retenu et de conforme à la religion. Qu’ils évitent même les moindres fautes, qui, en eux, seraient considérables, afin que leurs actions impriment à tous un sentiment de vénération » (Concile de Trente, Sess. XXII, c. 1). Sur l’efficacité de ces intentions, les chiffres semblent parler d’eux-mêmes. Alors qu’à la fin du XVIe siècle les procès-verbaux des visites pastorales et les procédures des officialités témoignent de l’existence de maintes défaillances (absentéisme, ignorance, ivrognerie, licence sexuelle, violence, débauche, activité profane), le modèle du « bon prêtre » semble s’être imposé (pour triompher à partir de 1750) : entre 1745 et 1790, on ne compte que 48 citations à comparaître devant l’offîcialité de Cambrai qui compte 600 paroisses et dans le Rouergue, entre 1737 et 1741, 75 curés seulement (pour 450 paroisses) se voient reprocher des déviances13. Cette évolution ne doit-elle pas être prise en compte dans l’appréciation que l’on peut faire des conflits du droit et sur les invitations faites à des collaborations entre juge laïque et official ?14 On sait combien, malgré les prudences de la Monarchie à l’égard du Concile, l’ecclésiologie qu’il met en œuvre « se coule facilement dans les cadres d’Ancien Régime et lie son sort à celui de la monarchie de droit divin »15. Bien que révélateurs d’une époque16, « de petits procès, de petites gens, de petites amendes » il ne sera pas question ici. Non que les siècles abordés ne s’y prêtent pas ou que les fonds d’archives à explorer l’aient tous été ! Mais il nous a semblé qu'évolutions générales et grandes affaires étaient davantage propices à éclairer le Droit d’une époque délaissée jusqu’ici par les historiens du droit. Mais il a fallu pour y parvenir plus qu’une volonté. D’une part, la préparation de cette recherche a été rendue possible grâce à un séjour à la Robbins collection de Berkeley, à l’invitation de son Directeur, le Professeur Laurent Mayali, séjour au cours duquel nous avons pu très largement avoir accès aux sources doctrinales relatives à ces questions. L’intérêt de la Robbins pour ces questions fut même à l’origine d’une aide modeste, mais toujours bienvenue, du fonds France Berkeley, aide qui est venue s’ajouter à celle plus conséquente du CNRS. D’autre part, sans l’appui de mon collègue Jean-Pierre Royer, nous n’aurions pu élargir nos comparaisons aux pays du Nord, comparaisons qui fondent pour une large part l’intérêt de ce travail, faisant une part égale aux évolutions générales, académiques, et aux affaires célèbres, plus spectaculaires.
Mots-clés | justice pénale vie religieuse recherche historique Droit canonique |
---|---|
Auteur : | Bernard Durand |
titrefr | Justice pénale et droit des clercs en Europe XVIe-XVIIIe siècles |
http://nakala.fr/terms#created | 2005 |
licence | CC-BY-NC-SA-4.0 |
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Mais, passée cette époque, sans doute considère-t-on, non sans raison, que le privilège du for était alors, comme l’affirmait Brissaud, «fort atteint», l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, en France, ayant réduit à « presque rien » la justice d’Eglise. Les manuels récents appuient cette approche. Celui d’Harouel confirme que le texte de 1539 «réduit à peu de chose la juridiction de l’Eglise », tendance renforcée par la doctrine gallicane et le refus de recevoir en France le Concile de Trente. Quant aux manuels de droit pénal, s’ils ne se contentent pas de décrire la procédure criminelle des Cours d’Eglise au Moyen Âge, ils renvoient prudemment, pour cette période à l’ouvrage de Jousse (daté de 1764), commentant l’édit de 16957. Enfin, les travaux sur le clergé délinquant du XIIIe au XVIIIe siècle8, conduits par l’équipe de recherche de Dijon, n’aborde pas la question sous l’angle du droit lui-même mais sous celui de la criminalité et de la déviance. Or, ce silence sur trois siècles rend mal compte des réalités, d’une part parce que les travaux abondants rédigés aux XVIIe et XVIIIe siècles attestent d’un intérêt fort pour des questions de droit âprement débattues par les contemporains. D’autre part, parce que si la justice ecclésiastique n’est plus une menace pour la justice royale, cela ne signifie pas que les problèmes juridiques posés aient été perçus comme secondaires. A l’occasion d’un procès pénal fait à un ecclésiastique, se révèle aussitôt la présence d’un droit pénal « plural » que ne sauraient résoudre les mécanismes habituellement présentés comme étant ceux « d’un » droit pénal d’Ancien Régime. Et les questions soulevées sont innombrables : le juge d’Eglise peut-il condamner à la torture ? Comment concilier l’obligation de « douceur » qui lui impose de ne pas faire couler le sang et l’idée que, peut-être, pourvu qu’il soit revêtu de l’habit clérical, il peut donner une « question » modérée, pour condamner ensuite à mie peine de prière et de jeûne, le préparatoire étant alors plus sévère que le définitif! Le juge d’Eglise peut-il en tous points, comme on lui en fait l’obligation, suivre les dispositions de l’ordonnance de 1670, alors que toutes sortes de prérogatives lui sont fermées, tant en ce qui concerne les décrets qu’en général tous les moyens de puissance publique ? Peut-il également exiger, en tous cas, qu’un clerc qui s’est rendu coupable d’un crime soit soumis à sa juridiction, alors même que de l’atrocité du crime ou de la tenue dans laquelle il a été commis, les juges laïques peuvent tirer argument de compétence ? Peut-on aisément accuser un prêtre ? Comment procéder à son égard, devant quel tribunal, selon quelles règles et pour quelles sanctions ? Etc... Autant de questions qui situent le clerc dans la société comme elles le situent dans le droit pénal, en même temps qu’elles éclairent et la société, et le droit pénal de cette époque. Le droit, par sa fonction instituante, permet de comprendre la place réservée au prêtre et à la justice ecclésiastique dans la société. Aussi les privilèges qu’on ne leur dispute pas, comme ceux qu’on leur conteste, sont-ils largement significatifs du regard des autres, beaucoup plus sans doute que les déviances que signale la criminalité des clercs. C’est moins le fait que l’on trouve des prêtres qui chassent en violation des ordonnances, ou des prêtres concubinaires, ou des prêtres assassins, ou peu respectueux des règlements de l’Eglise, qui intéresse l’historien du droit, que le fait que le droit réserve à ces actes telle procédure ou telle solution. Qu’elle soit apportée par l’Eglise elle-même ou par une justice laïque, que cette solution évolue au fil des années, la procédure suivie et le traitement infligé en disent long sur les mouvements de la société, la discipline qu’elle exige de ses prêtres, la liberté qu’elle leur consent, mais aussi sur les jeux de pouvoirs entre clercs et laïques ou, comme le démontre Véronique Demars-Sion, entre Parlements et Royauté9. Telle règle attestera du respect dû à l’Eglise et non au clerc, tel arrêt montrera la volonté d’en finir avec des privilèges immérités ou détournés, telle dispute illustrera les changements opérés dans les mentalités et telle décision royale prouvera le souci de maintenir un équilibre entre les corps, tandis que telle autre affaire tiendra compte d’un besoin urgent de réagir à une dérive et de l’impuissance à dominer les mécanismes d’un droit pénal qui, apte à assurer la domination d’un juge en face d’un accusé analphabète, se révèle impuissant face à un accusé cultivé et très au courant des règles de procédure10. Il n’est pas jusqu'à la manière dont les arrêts répondent à la question posée qui ne puisse nous renseigner sur la stratégie du pouvoir royal à l’égard des revendications de l’Eglise. On n’en finirait pas d’énumérer les règles juridiques qui « placent » le prêtre dans la société et le droit pénal de l’époque, comme celles qui déterminent la place de la religion dans la « police de l’Etat » : ainsi du souci de voir tel ou tel crime, apparemment spirituel, entrer dans la catégorie des crimes sanctionnés par l’Etat, du refus de voir les prêtres trop facilement accusés (puisque, à la prudence légitime du promoteur qui peut, comme tout procureur, examiner le bien fondé de la dénonciation, s’ajoute le souci de ne pas voir trop légèrement accusés « les ministres du Seigneur », ni voir le juge royal contredire la prudence du promoteur), des difficultés que l’on multiplie à leur arrestation par le jeu des compétences ou des décrets, du laxisme avec lesquels on les juge et du refus qu’y oppose la justice laïque, etc. Certes, pour appuyer l’image retenue pour cette époque, le déclin des tribunaux d’Eglise, en France, est remarquable. La théorie des cas privilégiés, la vérification du privilège de clergie, l’appel comme d’abus, sont des armes redoutables entre les mains des juges royaux, et elles consacrent et assurent le rôle secondaire que jouent désormais les justices d’Eglise. Mais il reste que l’unité du droit pénal est loin d’être réalisée : les officialités continuent à juger au pénal, les ecclésiastiques continuent à invoquer leur privilège, les ordonnances et déclarations royales cherchent à trouver un équilibre entre les prétentions du clergé et les intérêts de la justice royale en tentant de concilier le droit canon et les dispositions laïques. Les nombreux conflits de compétence plaident contre l’idée que ces questions ont cessé d’être un problème, comme elles attestent (Anne Lefebvre-Teillard l’affirmait en 1977)” des nuances à apporter à «des visions historiques anciennes, par trop catégoriques ». La doctrine, qui s’aventure sur ces terres, accuse les différences d’approche et, outre la lutte entre gallicans et ultramontains, atteste des divisions qui régnent sur la place laissée à la justice d’Eglise. Il n’est pas jusqu'à l’approche des appels comme d’abus qui ne soit contestée, certains auteurs soutenant que la philosophie même en a été pervertie et que, destinés à empêcher « l’abus des entreprises d’une juridiction sur l’autre », dans quelque sens que ce soit, ils sont devenus un moyen exclusif et à sens unique « de détruire la juridiction ecclésiastique ». Mais comment imaginer que le partage des compétences ou la détermination des procédures applicables ait pu se faire sans que quelque influence ne se manifeste dans un sens ou dans un autre ? Les règles pénales appliquées dans les tribunaux royaux comme dans les tribunaux d’Eglise sont parfois si «perméables» qu’il est difficile d’en négliger les éventuels apports réciproques ou les influences. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, la coexistence des juridictions, la puissance des deux autorités, royale et ecclésiastique, leur volonté conjointe de collaborer ou de ne rien céder, ont été source d’innombrables conflits et de solutions imposées ou négociées. Séparées, les juridictions des deux ordres sont parfois conduites à collaborer. Au demeurant, peut-on négliger ces approches juridiques qui mesurent les revendications de compétence, alors que les historiens de la vie religieuse soulignent combien le concile de Trente a eu pour conséquence d’exalter la mission du prêtre et son sacerdoce et donc les exigences d’un renouveau clérical auquel s’impose l’exemple de la sainteté*12 : «Aussi les clercs ... doivent tellement régler leur vie et toute leur conduite que, dans leurs habits, leur maintien extérieur, leurs démarches, leurs discours et dans tout le reste, ils ne laissent paraître rien que de sérieux, de retenu et de conforme à la religion. Qu’ils évitent même les moindres fautes, qui, en eux, seraient considérables, afin que leurs actions impriment à tous un sentiment de vénération » (Concile de Trente, Sess. XXII, c. 1). Sur l’efficacité de ces intentions, les chiffres semblent parler d’eux-mêmes. Alors qu’à la fin du XVIe siècle les procès-verbaux des visites pastorales et les procédures des officialités témoignent de l’existence de maintes défaillances (absentéisme, ignorance, ivrognerie, licence sexuelle, violence, débauche, activité profane), le modèle du « bon prêtre » semble s’être imposé (pour triompher à partir de 1750) : entre 1745 et 1790, on ne compte que 48 citations à comparaître devant l’offîcialité de Cambrai qui compte 600 paroisses et dans le Rouergue, entre 1737 et 1741, 75 curés seulement (pour 450 paroisses) se voient reprocher des déviances13. Cette évolution ne doit-elle pas être prise en compte dans l’appréciation que l’on peut faire des conflits du droit et sur les invitations faites à des collaborations entre juge laïque et official ?14 On sait combien, malgré les prudences de la Monarchie à l’égard du Concile, l’ecclésiologie qu’il met en œuvre « se coule facilement dans les cadres d’Ancien Régime et lie son sort à celui de la monarchie de droit divin »15. Bien que révélateurs d’une époque16, « de petits procès, de petites gens, de petites amendes » il ne sera pas question ici. Non que les siècles abordés ne s’y prêtent pas ou que les fonds d’archives à explorer l’aient tous été ! Mais il nous a semblé qu'évolutions générales et grandes affaires étaient davantage propices à éclairer le Droit d’une époque délaissée jusqu’ici par les historiens du droit. Mais il a fallu pour y parvenir plus qu’une volonté. D’une part, la préparation de cette recherche a été rendue possible grâce à un séjour à la Robbins collection de Berkeley, à l’invitation de son Directeur, le Professeur Laurent Mayali, séjour au cours duquel nous avons pu très largement avoir accès aux sources doctrinales relatives à ces questions. L’intérêt de la Robbins pour ces questions fut même à l’origine d’une aide modeste, mais toujours bienvenue, du fonds France Berkeley, aide qui est venue s’ajouter à celle plus conséquente du CNRS. D’autre part, sans l’appui de mon collègue Jean-Pierre Royer, nous n’aurions pu élargir nos comparaisons aux pays du Nord, comparaisons qui fondent pour une large part l’intérêt de ce travail, faisant une part égale aux évolutions générales, académiques, et aux affaires célèbres, plus spectaculaires. |
http://purl.org/dc/terms/type | Text |
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langues | fr |
auteur | Bernard Durand |